Interview: Élise Girardeau, avocate bénévole
Élise Girardeau est une avocate non-voyante au Barreau d'Angers spécialisée notamment dans le droit des étrangers. Depuis 2013, elle est bénévole au Secours Populaire où elle fait du conseil juridique aux personnes défavorisées. Elle a accepté de livrer sa propre vision des "inégalités de justice" tout en évoquant les aides juridictionnelles. Entretien.
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Cela fait 4 ans que vous êtes bénévole au secours populaire, vous faites également du conseil juridique aux personnes les plus
démunies, qu’est-ce qui vous a poussé au bénévolat ?
Je suis devenue bénévole avant même de m’installer en tant qu’avocate. Je
trouvais qu’il y avait une vraie utilité pour un public très défavorisé n’ayant pas
toutes les informations [concernant la justice ndlr] comme il se doit. Ces
personnes ont besoin d’un tremplin, d’un relais pour les mener vers un avocat, un
conciliateur, pour aller vers le monde de la justice en fait. Bien souvent ils
n’y vont pas d’eux-mêmes, par manque de connaissances tout simplement. Ils ne
connaissent pas par exemple le mécanisme des aides juridictionnelles.
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Pouvez-vous m’expliquer ce que sont les
aides juridictionnelles ?
Et bien si une personne présente un revenu inférieur à un certain
montant, l’État prend alors en charge ses frais d’avocat. Cependant c’est
encore assez discutable car cette aide n’est proposée que pour une procédure
judiciaire et pas pour un conseil. C’est-à-dire que les personnes en situation
précaire qui veulent simplement demander conseil à un avocat devront payer les
frais. Aller voir un avocat au sein du Secours Populaire sera plus accessible
pour eux par exemple.
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Vous avez affaire avec des personnes très
défavorisées ?
Oui tout à fait. Cela peut être des personnes d’origine étrangère, j’en
ai beaucoup. Ils n’ont donc pas de revenus en France et ne sont pas inscrits à
la caisse de sécurité sociale. Ils ne parlent d’ailleurs pas forcément
français. Il faut tout réexpliquer, les délais etc. Mais même pour mes clients français il y a également des problèmes, qui sont liés souvent
à la perte d’un emploi, qui entraîne des problèmes familiaux… tout s’entremêle
en fait.
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En France il y a beaucoup de critiques
envers la justice, on entend souvent les termes « justice à deux vitesses », qu’est-ce que ces dits
termes évoquent chez vous ?
Pour moi une justice à deux vitesses, c’est dire que selon le milieu
social d’où l’on vient, on n’aura pas forcément accès aux bonnes informations
juridiques.
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Donc si un jour quelqu’un vous dit qu’il y a
des inégalités de justice en France, alors que le principe même de notre
institution judiciaire est que tout le monde soit traité de la même façon, cela
sera réel pour vous ?
Oui pour moi il y a des inégalités face à la justice. Il y a des
milieux, par exemple en zone rurale, qui ont encore moins accès aux
informations concernant la justice. Parce qu’il y a moins de « Maison de
Justice et du Droit », moins de relais dirons-nous. Suivant le lieu où on
se trouve on n’aura pas le même accès à la justice. Et c’est encore plus
prononcé s’il on est en difficulté. Il faut bien être honnête et dire que
quelqu’un qui n’a pas de lacunes en Français, qui connaît un peu le milieu
administratif ou juridique aura plus de facilités à se défendre qu’une personne
présentant ces lacunes.
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Pensez-vous que votre action peut contribuer
à rééquilibrer la balance ?
Ça contribue oui. Ça évite que certaines personnes attendent trop
longtemps. Nous rédigeons une lettre et débloquons la situation et ça empêche
d’entrer dans des procédures judiciaires longues et couteuses. On leur offre un
interlocuteur à leur niveau en quelques sortes, les gens ont moins peur de
rentrer au Secours Populaire que dans
un cabinet d’avocat. L’association souhaite d’ailleurs développer les
permanences d’aide juridique, c’est leur objectif. Ça a eu un succès fou, les
gens ont vraiment besoin de cette aide.
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Revenons sur le cas des aides
juridictionnelles, une personne sans-abri par exemple qui ne peut pas justifier
son revenu, y-a-t-elle accès ?
Je m’occupe de personnes étrangères qui ne peuvent pas justifier leurs
revenus ou non-revenus. C’est exactement la même chose que pour un sans-abri. C’est
à l’avocat d’expliquer la situation au bureau des aides juridictionnelles avec
une lettre par exemple.
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Est-il possible que ces aides soient
refusées pour ce type de raison (manque de documents) ?
Ça ne m’est jamais arrivé personnellement, il est possible que cela arrive évidemment
mais ce doit être extrêmement rare.
Vous parliez des inégalités de justice, je peux vous parler d’un aspect
inégalitaire, celui du handicap. Les personnes handicapées elles aussi ont plus de mal à
accéder à la justice.
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Comment cette inégalité se traduit
concrètement ?
Les sites internet des cabinets d’avocats ne sont pas forcément adaptés
aux personnes handicapées. Tout dépend bien sûr du type de handicap mais on se déplace moins
facilement dans un cabinet ou une « Maison de Justice et du Droit ».
C’est une forme d’inégalité.
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Dernière question à propos des aides
juridictionnelles. Les affaires où les justiciables bénéficient de cet appui
sont-elles davantage confiées à de jeunes avocats ? Cela peut-il
faire la différence pour un prévenu ?
Il est vrai que souvent les avocats plus expérimentés préfèrent prendre
des cas qui sont mieux rémunérés. Ce n’est pas toujours le cas bien évidemment.
C’est d’ailleurs vrai qu’un jeune avocat est moins expérimenté qu’un autre qui
a vingt ou trente ans d’exercice. Mais il faut savoir que pour plaider dans des
affaires avec les aides juridictionnelles on s’inscrit dans un domaine de
compétences. Je me suis inscrite dans un certain domaine pour être commis d’office
pour les aides, mais pas en commerce par exemple où je sais
que je n’ai pas les compétences.
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Pourrait-on améliorer ce système ?
Il faudrait que les aides juridictionnelles ne s’appliquent pas
uniquement aux procédures judiciaires, mais également aux conseils juridiques.
Le métier d’avocat comprend ces deux aspects. En Belgique c’est comme cela que
ça se passe. J’aurais également une réserve contre le système de barème, si l’on est à un euro au-dessus du plafond on n’a le droit à rien. Alors
que vous n’en êtes pas pour autant moins démuni.
Alexandre Camino
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