Entretien: Vincent Le Coq


Le maître conférencier et ancien avocat Vincent Le Coq a accepté de parler de l'impunité des hommes et femmes politiques, de la justice à deux vitesses, et des conséquences des inégalités de justice pour le modèle social français.

 

L’un de vos livres s’intitule «Impunités : Une justice à deux vitesses » qu’est-ce que signifient pour vous, ces termes ?

Au départ le livre devait s’appeler « Une justice dévoyée, au service des puissants », l’autre fut le choix de l’éditeur. Mais l’idée est la même. C’est le fait qu’un même préjudice va donner lieu à deux peines totalement différentes, suivant que le fait est commis par un délinquant de droit commun ou un homme politique. J’ai cité cette observation d’un avocat Marseillais à l'époque du Prado-Carénage (tunnel souterrain à Marseille ndlr) qui s’est présenté devant les juges en disant « Monsieur le Président quand me direz vous enfin à partir de combien un vol n’est plus sanctionné ? ». Si vous prenez les montants des préjudices pour des affaires importantes ou non, vous voyez que les hommes – ou femmes - politiques ne font pas un jour de prison. Alors bien sûr il y a des exceptions mais ce sont des arbres qui cachent la forêt. C’est à l’état de traces comme disent les chimistes. C’est au pire assorti du sursis. Ou bien la condamnation est de X avec sursis, donc on se retrouve avec une peine de moins de 2 ans, qui est alors aménageable. Pour résumer, l’homme politique ne connaît pas la paille humide du cachot.  

Pourquoi selon vous les hommes politiques échappent à l’incarcération ?

Je vois trois causes. Foucault fait remarquer qu’il y a une différence entre les délinquants du peuple, et les délinquants bourgeois. La délinquance d’affaires est beaucoup plus difficile à repérer. Si tous les français sont volés, personne n’a l’impression de l’être. Il y a un caractère quasi indolore de l’infraction, elle ne se ressent pas.
Ensuite les magistrats, ont pour mission en quelques sortes de préserver les institutions françaises. Il y a un glissement sémantique logique, si je dis que Jacques Chirac est un voyou, je dégrade la présidence de la république. Je pense que les magistrats ont le sentiment qu’il leur appartient de ne pas montrer la profondeur de la corruption du pays. Pour préserver l’idée que les français se font de l’institution.
Troisième clé de lecture, les hommes politiques font la carrière des magistrats. C’est leur intérêt de ne pas sanctionner. Il existe depuis 1936 la Chancellerie. Les magistrats qui y travaillent rencontrent des hommes politiques. C’est un accélérateur de carrière.
Tous ces éléments font que l’homme politique est peu sanctionné en France. 

Pouvez-vous me citer un cas précis d’inégalité de justice par rapport à un délinquant de droit commun ?

Bernadette Chirac prend l’avion sans payer ses places, elle utilise la compagnie Euralair. Il est apparu lorsque la société a déposé le bilan que l’ex première dame de France n’avait pas payé un montant de 40 000 euros de billets d’avion. La femme d’un Président n’ayant pas d’immunité, on est alors dans un cas d‘infraction de droit commun. C’est un recel d’abus de bien social. (quand les membres dirigeants d’une entreprise dépensent des sommes dans l’intérêt d’un tiers). Le Procureur de la République fera une analyse différente en parlant d’une politique de communication commerciale en donnant gratuitement des billets d’avion. L'infraction était passible de prison et d'une amende, mais elle a été dégradée. On parle de disqualification d’un fait.   


Ces inégalités, ces impunités sont-elles dangereuses pour notre modèle social et notre démocratie ?

Oui bien sûr. Dans notre pays la justice c’est ce qui délégitime la vengeance. Elle doit être neutre vis-à-vis du pouvoir politique et économique. Il est très dangereux de ne pas sanctionner les hommes politiques, les citoyens se désespèrent mais peuvent surtout se mettre en colère. Les magistrats se trompent s’ils pensent préserver l’ordre public et la stabilité des institutions en évitant les condamnations. Pourtant je ne pense pas forcément à une réponse politique, c’est-à-dire par les urnes. Il n’est pas impossible qu’émerge de la violence, une goutte suffit. Il faut avoir en tête les émeutes du 6 février 1934. Bien sûr il est possible que ça ne se passe pas comme ça, mais ce n’est pas à exclure. 

Alexandre Camino

Commentaires

Articles les plus consultés